Adresse au parlement par 2 avocats, exemplaire. Disponible en PDF en bas pour faire suivre à vos contacts et élus.

Projet de Loi n° 2022/889 (procédure accélérée)

Relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (EnR)

Par William Azan et Nathalie Moullé-Berteaux, avocats

L’objet de cette adresse est de démontrer l’inconstitutionnalité du projet de loi EnR tout en dénonçant certaines contre-vérités qui sous-tendent ce texte, concernant les avantages et les inconvénients des EnR. En effet, le discours sur les EnR porté par ce projet de loi passe sous silence leurs inconvénients pourtant majeurs (intermittence pour l’éolien et le photovoltaïque, atteintes à l’environnement, à la qualité de vie des riverains, etc.). Or ces inconvénients ne permettent pas de justifier les mesures d’exception proposées dans ce projet de loi au nom de l’intérêt général, mesures qui portent atteinte à de nombreux droits fondamentaux (violation des droits à l’information, à la participation au processus décisionnel, régressions concernant le droit de l’environnement, etc.).

Ce projet de loi d’exception de 253 pages a été soumis de manière tardive et dans l’urgence par le Gouvernement aux organes consultatifs qui ont émis des avis très critiques, voire défavorables. Présenté en Conseil des ministres du 26 septembre 2022, il a été enregistré le même jour à la présidence du Sénat en procédure accélérée, alors que les enjeux de transition énergétique et impacts afférents dont il est question auraient nécessité, au contraire, un débat public, serein et transparent devant le Parlement pour éviter de nouvelles erreurs stratégiques au bénéfice d’une  protection de l’environnement tant naturel (forces physico-chimiques et biotiques) que culturel (activités socio-économiques).

L’examen en urgence, sous la forme d’une procédure accélérée, de ce projet de loi d’exception EnR, fondé sur des postulats erronés en matière de politique énergétique, pose nombre de difficultés : sur le plan juridique au regard de la Constitution et du bloc de constitutionnalité (1) et, paradoxalement, sur son terrain même de la protection de l’environnement qu’il met à risque (2).

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  1. Le projet de loi EnR viole l’article 55 de la Constitution à l’égard de la Convention d’Aarhus

Le projet de loi EnR viole l’article 55[1] de la Constitution en ne tenant pas compte des dispositions de la Convention d’Aarhus en matière d’accès à l’information (1.1), de participation du public au processus décisionnel (1.2) et d’accès à la justice en matière d’environnement (1.3).

LA CONVENTION D’AARHUS

La Convention d’Aarhus signée le 25 juin 1998 et ratifiée par la France au travers de la loi n°2002-285 du 28 février 2002 accorde au citoyen le droit d’être informé et de participer au processus de décision démocratique en matière d’autorisation environnementale.

Le Conseil d’État a lui-même retenu l’effet direct de certaines des dispositions de la Convention d’Aarhus, précisément celles qui nous occupent aujourd’hui (CE 20/04/2005, 25868 et 259221).

En consacrant un intérêt public majeur à des projets développés par des opérateurs privés pour leur bénéfice premier tant dans le domaine des aérogénérateurs industriels que du photovoltaïque (secteurs d’activité qui bénéficient de tarifs de rachat attractifs), le gouvernement assortit l’instruction administrative de ces projets d’un régime d’exception contraire aux dispositions de la Convention d’Aarhus, notamment sur les dispositions relatives à  l’exercice du contrôle démocratique des questions d’environnement à savoir le droit à l’information (a) et le droit à la participation du citoyen au processus de décision (b).

  1. LE DROIT A L’INFORMATION

Celui-ci ne peut être raisonnablement exercé lorsque circulent des informations inexactes, ce qui est notamment, très fréquemment, le cas sur les prétendus avantages des aérogénérateurs industriels.

En l’état, cette source d’énergie ne mérite en rien d’être placée dans la catégorie des EnR, à la différence de la biomasse dont le biogaz, de la géothermie ou des pompes à chaleur.

A cet égard, un contentieux est actuellement pendant devant la Cour de Justice de l’Union européenne en vue de faire sortir les aérogénérateurs industriels de la liste des EnR. Il serait opportun d’attendre la position qu’adoptera le juge communautaire avant d’accorder des dérogations aussi importantes que celles que contient le projet de loi en terme d’allégement des procédures administratives par voie d’exception.

La note de présentation annexée aux présentes démontre que :

  • L’éolien ne contribue en rien à la réduction des gaz à effet de serre (GES).
  • L’éolien est inutile sans une mise à niveau de notre parc de production d’énergie fossile ou fissile.
  • Le bilan carbone est négatif si on intègre la fabrication à l’étranger des aérogénérateurs.
  • L’impact sur la sécurité en mer des éoliennes en mer, notamment à proximité du rail d’Ouessant n’a pas été abordé.
  • L’impact sur les espèces protégées, notamment l’avifaune, est systématiquement sous-évalué.

Dans ces circonstances, et comme le demande nombre d’organes consultatifs consultés en urgence sur le projet de loi EnR, une étude d’impact complète de ce projet doit être exigée avant tout débat parlementaire.

A cet égard, une commission d’enquête parlementaire pourrait utilement être constituée sur ce sujet sensible, en élargissant son spectre de réflexion au financement et aux subventions dont bénéficie la filière éolienne, in fine financée par l’usager français sans espoir sérieux de retour sur investissement pour l’économie française.

Les organes consultatifs n’ont pas disposé d’un délai suffisant pour délibérer conformément la Convention d’Aarhus et aux dispositions l’intégrant en droit interne ; le non-respect du délai suffisant est expressément relevé :

  • Par avis du Conseil d’État au gouvernement n° ENER2223572L en date des 15 & 22 septembre 2022 : « L’étude d’impact du projet est apparue inégale, insuffisante sur plusieurs articles, voire inexistante sur certaines dispositions pourtant importantes (…) Il convient que l’étude d’impact soit complétée sur les différents points qui viennent d’être mentionnés avant le dépôt du projet de loi au Parlement ».
  • Par avis défavorable n° 2022-38 du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) en date du 16 septembre 2022 : « La politique énergétique de la France doit nécessairement se penser sur le long terme, et implique un temps de réflexion à la hauteur de cet horizon. Dès lors que le présent projet de loi va engager cette politique énergétique de manière dérogatoire pendant tout un quinquennat avec, inévitablement, de très fortes conséquences sur les décennies suivantes, le CNPN s’étonne que les instances nationales concernées par l’environnement soient consultées de manière aussi précipitée fin août 2022, avec des délais de réponse extrêmement courts qui ne leur permettent pas de se réunir selon les règles usuelles et de prendre le recul nécessaire à une analyse approfondie de textes aussi majeurs et structurants pour la France, et ce sans indications sur le contenu des futurs décrets d’application ».

Les organes consultés en urgence ont rendu des avis défavorables pour diverses raisons notamment la biodiversité passée sous silence[2] , regrettant les délais beaucoup trop courts de transmission d’un projet de loi complexe de 253 pages dont l’impact environnemental est considérable nonobstant son caractère temporaire (48 mois).

  • Par avis défavorable n° 22-09-08-02930 du 8 septembre 2022, le Conseil national d’Évaluation des Normes (CNEN) s’interroge « sur la stratégie énergétique du Gouvernement notamment en matière de développement des énergies renouvelables et de leur insertion dans le bouquet énergétique français », signale « un manque de visibilité́ ne permettant pas d’assimiler les règles existantes et de saisir la cohérence des textes découlant des réformes successives » et rappelle « les effets néfastes de l’instabilité́ règlementaire, juridique et financière dans un contexte croissant de réduction des marges budgétaires des collectivités territoriales ».
  • Par avis n° 2022-24 du 8 septembre 2022, le Conseil National de la Transition Écologique (CNTE) « attire l’attention sur le risque d’instabilité et d’insécurité juridique procédant du caractère temporaire des mesures et de l’imprécision sur l’étendue du champ d’application de l’article 1 » qui supprime notamment la faculté du préfet d’organiser une enquête publique, relève le caractère complexe des dispositions et la nécessité d’en assurer une évaluation et s’interroge sur la conformité avec les conventions internationales.
  • Par avis défavorable n° 2022-38 du 16 septembre 2022, le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) relève le déséquilibre du projet de loi « au profit des considérations énergétiques et au détriment des enjeux environnementaux, et notamment de la biodiversité passée largement sous silence (…) ».

Le caractère fragmentaire des informations transmises est systématiquement relevé.

En ce qui concerne les autorisations individuelles d’exploitation d’aérogénérateurs industriels en mer qui vont bénéficier d’une instruction globalisée, on ne peut que regretter l’insuffisance de l’information donnée aux tiers en phase de consultation.

Les consultations sont prévues par « façades » du littoral, empêchant de facto un débat spécifique à chaque site d’implantation ; or, les problématiques ne sauraient être les mêmes d’un lieu à l’autre, tant en ce qui concerne la sécurité maritime que la gestion des ressources halieutiques.

Faute d’un débat par site, privilégiant une concertation de façade, le Gouvernement méconnait l’obligation d’une information et d’une participation effective, complète et sincère, du citoyen à l’élaboration de la décision en matière d’environnement que protège tant la Convention d’Aarhus que la Charte constitutionnelle de l’environnement dont tout justiciable peut exciper à bon droit à l’occasion d’un recours contre les autorisations sollicitées par les exploitants d’aérogénérateurs industriels.

Il en va de plus ainsi lorsqu’est envisagée une concertation par voie informatique qui ne garantit en rien que des tiers à la zone concernée ne puissent altérer le débat en utilisant les subterfuges usuels de la communication électronique (faux profils, trolls, usage de l’intelligence artificielle aux fins de détournement d’opérations d’enquête publique, cyber harcèlement des opposants, etc.).

  1. LE DROIT A LA PARTICIPATION DU CITOYEN AU PROCESSUS DE DECISION

Au-delà d’être privé de son droit être raisonnablement informé, le citoyen est écarté, une fois encore, de l’ensemble du processus décisionnel en matière environnementale alors qu’il est le premier concerné et dispose d’un droit accordé par la Charte de l’environnement[3] dont l’article 1er énonce très clairement le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Le choix même d’une loi d’exception illustre ce parti pris du Gouvernement qui souhaite passer en force lorsqu’il voit se lever en masse l’opposition aux projets dans l’éolien qu’il soit terrestre ou maritime.

En globalisant les procédures de concertation, on prive de sa substance le droit à la participation du citoyen au mépris de la convention d’Aarhus des lors que la procédure d’enquête publique est vidée de sa substance au titre d’une loi d’exception.

  1. VIOLATION DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE (CF. ARTICLE 6, CEDH)

Après avoir supprimé par décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 le double degré de juridiction pour les recours contre des autorisations environnementales au profit du développement d’aérogénérateurs industriels, le projet de loi EnR va plus loin encore, en instituant une compétence exclusive du Conseil d’État.

Le législateur peut certes confier au Conseil d’État, en premier et dernier ressort, tel ou tel type de contentieux.

Il ne peut le faire que si la décision contestée émane d’une autorité administrative indépendante, telle la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) dont la procédure est de nature quasi-juridictionnelle en vertu notamment des dispositions de l’article L311.4 du Code de justice administrative.

En ne prévoyant pas un tel dispositif, le législateur contreviendrait à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui protège le justiciable lorsque la décision en prise en premier et dernier ressort afin que les garanties fondamentales de la Convention européenne des droits de l’homme soient respectées (CJCE PLATAZOU c/ GRECE 2001 Paragraphe 38 que rappelle le Guide sur l’article 6 de ladite Convention mis à jour le 31 août 2022).

Dans le projet de loi EnR, le justiciable est privé non seulement du juge d’appel mais également du juge de cassation, instances que garantit pourtant l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En bafouant ce droit, pourtant reconnu expressément par la loi française n° 87-1127 du 31 décembre 1987, le Gouvernement viole une fois encore un engagement international de la France constitutionnellement garanti.

  1. AUTRES VIOLATIONS CONSTITUTIONNELLES
  • Violation de l’article 72 de la Constitution

Le projet de loi prévoit une compétence exclusive des préfets, en lieu et place des maires, dans la délivrance des permis de construire sans motif juridiquement acceptable.

 Il en va de même de l’intégration forcée des projets de construction de nouvelles unités dans les PADD ou de l’incidence qu’ils auront sur le foncier alors même que pèse sur les collectivités territoriales l’objectif « zéro artificialisation nette » portée par France Stratégie, institution autonome placée auprès du Premier ministre, précisément pour éclairer les choix collectifs sur les enjeux sociaux, économiques et environnementaux.

Le gouvernement porte ainsi atteinte au principe de libre administration des collectivités locales en violation les dispositions de l’article 72 de la Constitution.

  • Violation du principe d’égalité de traitement devant l’impôt et les charges publiques[4]

Pour tenter de faire taire la fronde des riverains face à l’impact qu’ont les installations industrielles des EnR, et notamment les aérogénérateurs, sur leur quotidien mais aussi sur la valeur vénale de leur bien, le Gouvernement prévoit la mise en place d’une fiscalité plus avantageuse pour eux.

Ce faisant, le projet de loi EnR viole le principe d’égalité de traitement devant l’impôt car ce dispositif dérogatoire ne vaut que pour les habitants des communes d’implantation des EnR  alors que, dans le cas par exemple des aérogénérateurs industriels, les habitants des communes avoisinantes ont une vue directe sur eux par l’effet de surplomb de mâts à 200 m de haut et plus, pales comprises.

Aucune disposition légale ou réglementaire ne peut venir justifier que ce voisinage ne puisse bénéficier d’une même fiscalité avantageuse alors que l’impact peut être nul sur une partie du territoire et catastrophique sur une autre en covisibilité avec une commune tierce.

Il s’agit d’une rupture de l’égalité de traitement devant les charges publiques entre les habitants des communes d’implantation et celles voisines d’une installation d’aérogénérateurs industriels pourtant situés dans une même zone de covisibilité, susceptible d’emporter la censure du Conseil constitutionnel.

Cela est d’autant plus grave que ce dispositif viendrait à porter atteinte au principe fondamentale de la tarification unique sur l’ensemble du territoire national de l’électricité, socle sur lequel a été bâti l’ensemble du système énergétique français.

  • Le projet de loi EnR met à risque l’environnement naturel

A titre liminaire, il sera relevé que si le projet de loi EnR est très attentif à identifier les verrous de procédure à éliminer pour accélérer l’entrée en service des unités de production des EnR, il est totalement taisant sur le sujet de la protection de la biodiversité et la protection des espèces en danger, notamment l’avifaune.

La question de la compatibilité du projet de loi EnR n’est posée :

  • Ni, avec le Plan Biodiversité du 4 juillet 2018 pris en réponse à l’urgence – cette-fois ci justifiée – de la disparition silencieuse de la biodiversité (alors que certains projets d’aérogénérateurs se développent dans des Zones Humides) ;
  • Ni, avec la stratégie nationale biodiversité 2030, alignée sur le plan global et à long terme de l’U.E. visant à protéger la nature et à inverser la tendance à la dégradation des écosystèmes à l’horizon 2030.

Cette question est particulièrement préoccupante pour le développement de l’éolien terrestre dont on connait déjà, en partie, l’impact sur la biodiversité.  D’une part, le maintien du réseau écologique des territoires, pour assurer une protection de l’avifaune et tout particulièrement des migrations des espèces protégées, est incompatible avec le développement de l’éolien terrestre en l’absence d’une réelle coordination entre les différents projets d’implantation.

D’autre part, le projet de loi EnR permet l’octroi d’aides publiques aux producteurs au travers des tarifs de rachat encadrés de leur production au mépris de l’objectif 6.3 du Plan Biodiversité « réformer les aides publiques dommageables à la biodiversité ».

Bien plus, les conditions de compensation de type ERC ne sont pas précisées en cas d’atteinte à des espèces protégées au mépris des principes de la loi de 2016 dite Biodiversité et Paysages[5].

Comme le souligne le Conseil National de Protection de la Nature, le projet de loi EnR rate ainsi l’occasion d’une mise en conformité avec les directives européennes ; plus généralement, il est en parfaite contradiction avec une jurisprudence européenne constante.

Pour conclure, le projet de loi EnR expose la France à une nouvelle action en manquement.

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Au vu de ce qui précède, le projet de loi EnR ne peut qu’être censuré par le Conseil constitutionnel.

Partant, cette adresse vise à soutenir une méthode différente d’élaboration du dispositif législatif en la matière, privilégiant la mise en place d’une commission d’enquête mixte paritaire qui permettra, grâce à l’audition d’experts sur des sujets très techniques, un travail plus abouti et en toute transparence, avec des outils précis de mesure des impacts de la réforme envisagée permettant son intégration de façon plus accorte dans le Code de l’Energie tout en protégeant véritablement les enjeux environnementaux et, tout particulièrement, la biodiversité (espèces et habitats).


[1] Article 55, Constitution du 4 octobre 1958 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

[2] L’avis défavorable n° 2022-38 du 16 septembre 2022 du CNPN relève le déséquilibre du projet de loi « au profit des considérations énergétiques et au détriment des enjeux environnementaux, et notamment de la biodiversité passée largement sous silence (…) ».

[3] Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement (JORF n°0051 du 2 mars 2005 page 3697).

[4] Articles 6 & 13 de la Déclaration des Droits du 26 août 1789.

[5] LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

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